[Part 3]La troisième page m'apparait complètement vide. J'espère que j'aurai assez de mot pour la remplir. Il y a tant de chose que je dois écrire et tellement de peur de ces souvenirs.
Je commencerai en disant ceci : Les petites filles ne doivent pas mourir.J'en ai connu une, tout simplement incroyable. La dernière fois que je l'ai vue en vie, elle avait 8 ans.C'était un matin de mai. Le soleil s’est levé, l’air était très humide, le brouillard très épais et le vent complètement absent. Jana, Tasha, Zi’nia et moi nous étions données rendez-vous comme à l’habitude sur la plage de sable qui faisait face à la mer. Jana est arrivée en premier, puis nous sommes venues la rejoindre. J’ai cru entendre la mer souffler son nom, mais à ce moment là j’étais trop jeune pour comprendre.
C’était la marée qui l’appelait, mais ça je l’ai compris bien des années plus tard.Ce matin-là, Jana nous a fait un exposé sur les dangers de la mer. Ce n'était pas la première fois qu'elle nous en parlait, mais cette fois-ci ça avait l'air plus sérieux. Voici ce qu'elle nous a dit :
« Il faut que je parle de l’océan. L’océan sait que nous sommes ici, il sait compter… L’océan est un mathématicien et il exige l’une de nous. » Jana nous a serrées dans ses bras en nous faisant promettre de faire attention.
Je me souviens l’avoir contemplé minutieusement en me disant qu’elle ressemblait à ces princesses anciennes destinées au sacrifice, sacrifiées à l’océan pour sauver les habitants de l’île. Si à ce moment j’avais compris que j’avais raison, j’aurais tout fait pour l’empêcher d’aller se baigner.***
En après-midi, nous sommes allées nager dans l’océan sous le regard de Zi’nia qui avait trop peur de l’eau pour s’y aventurer. Nous sommes montées sur un gros rocher qui arrivait à la ligne des vagues, notre rocher. De loin je pouvais voir ma sœur sourire et nous envoyer des signes de la main.
Elle avait l’air radieuse et c’est la dernière fois que je l’ai vu ainsi. La minute suivante, notre vie à basculée.Tout s’est passé très vite, l’eau était agitée. J’ai remarqué une grosse vague à travers le brouillard derrière Jana. Celle-ci m’a regardé droit dans les yeux et m’a dit d’une voix énigmatique :
« Tout vas bien, ce n'est qu'une marée. ». Elle s’est mise à rire et elle a basculé sous la vague en une seconde à peine.
C’est la dernière fois que j’ai entendu son rire si joyeux.Je n’ai rien fait, je n’ai même pas bougé. Le temps m’a semblé s’être arrêté, c’était comme dans un rêve, sauf que personne ne dormait. J’étais paralysée par la peur et j’ai vu que Tasha était tout aussi figée que moi. Une larme sur sa joue m’a indiqué qu’elle avait comprit qu’il n’y avait rien à faire. Moi c’est cette phrase qui me revenait en tête :
« L’océan exige l’une de nous. », et j’ai compris qu’il était trop tard, qu’
on ne pouvait plus la sauver, personne…Zi’nia a plongé dans l’eau en criant, elle voulait la sauver. C’est la seule fois où je l’ai vu faire ça, c’était incroyable. Elle ne pouvait supporter que l’océan lui prenne Jana.C’est à ce moment là que j’ai réagit. J’ai plongé à mon tour dans l’eau et Tasha a fait la même chose, sauf que ce n’était pas pour sauver Jana que nous avons sauté, c’était pour remonter Zi’nia qui ne savait pas nager et qui n’allait pas tarder à s’en rendre compte. Nous l’avons hissé sur le rocher et je l’ai prise dans mes bras. Elle a essayée de se débattre en pleurant et en criant qu’il fallait sauver Jana des bras de la mer,
mais c’était terminé.
« La mer est méchante, je sais. » Lui a-je murmuré à l’oreille.
Tasha est partie chercher de l’aide et je suis restée là avec ma sœur. J’ai chuchoté des mots réconfortants pour l’apaiser.
Deux petites filles perdues au milieu de l’océan, c’est à ça que nous ressemblions.Plusieurs personnes sont arrivées, papa et maman sont venus nous chercher dans l’eau pour nous ramener sur le sable et Tasha est venue nous rejoindre. Il ne manquait plus que Jana qui avait disparu.
Les adultes sont partis à sa recherche.
Nous, impuissantes, nous sommes restées sur le sable très longtemps, fixant le vide qui s’étendait à perte de vue dans nos cœurs. Les minutes se sont écoulées, puis les heures.
Après ce moment qui nous a parut une éternité, ils ont ressortit Jana de l’eau,
complètement inerte. Des larmes ont roulées doucement sur mes joues.
Les choses n’apparaissent réelles que quand la réalité cogne à votre porte en vous apportant la preuve de leur existence. Et là, il y avait le corps inanimé de Jana sous nos yeux qui nous prouvait qu’il était trop tard.
Papa nous a prit les trois dans ses bras et nous a murmuré que ce n’était pas de notre faute, que ce n’était la faute de personne, que c’était la vie qui nous réservait parfois des mauvaises surprises, mais il ne put rien dire qui sût soustraire à notre douleur;
Jana ne rirait plus jamais avec nous, la mer l’avait assassinée.Je termine en vous disant ceci : Les petites filles ne doivent pas mourir.*Création collective de Mariella Wood, Zi’nia Wood et Tasha Fellman.